Pour le moins compliqué…
« Le putting, ce jeu à part entière, constitue la pièce maitresse de l’échiquier golfique » selon le champion amateur américain de la fin des années 20 Bobby Jones (Bobby Jones on Golf).
Capricieux et très personnel, le putting se révèle souvent insaisissable. Son « outil de travail », un club droit à l’allure « cordiale », signe quant à lui les moments décisifs d’une partie. Compagnon à succès ou ennemi juré, impossible de se départir de l’instrument le plus utilisé du sac. Le putter se présente dès lors sous de multiples formes, s’exécute de quantité de manières et dévoile le talent et les nerfs des golfeurs, trop souvent sujets à quelques extravagances…
Historiquement, il s’agissait d’utiliser la canne la mieux adaptée pour littéralement extraire la balle de l’herbe. Le légendaire « Calamity Jane (1)» qui disposait d’une ouverture de 8° (contre 4° aujourd’hui) permit ainsi à Bobby Jones de remporter dix majeurs à partir de 1926.
Le « Bullseye » de la marque américaine Acushnet, accompagna pour sa part nombre de joueurs pendant près de cinquante ans, dont le pro américain Johnny Miller lorsqu’il signa son prodigieux 63 lors du dernier tour de l’US Open en 1973 à Oakmont en Pennsylvanie. Le maestro espagnol, Severiano Ballesteros (1957-2011) fit la renommée du « Ping Anser (2) » en décrochant ses cinq majeurs avec ce même instrument dans le sac. Encore aujourd’hui, le « Ping Anser » détient le plus important nombre de victoires (500) sur les différents circuits professionnels.
Quelles que soient les technologies employées, l’enjeu actuel consiste à minimiser les balles décentrées voire les yips (3) sur des greens désormais homogènes et rapides. Dès lors, le tout nouveau « Exo » d’Odyssey ou le « Spider » de TaylorMade sont autant de créations à l’esthétisme peu orthodoxe, sensées répondre à ces préoccupations.
La technique du « diegeling » développée en 1924 par le professionnel américain, Leo Diegel (30 victoires sur le PGA Tour (4) dont deux Majeurs), consistait déjà à coincer le putter contre le nombril afin de réduire au maximum l’action des mains. Le « diegeling » fait ainsi office d’ancêtre du « belly putter » (putter niché sous l’ombilic) et du « broomstick » (putter bloqué sous le sternum).
Pour nombre de joueurs dont Tiger Woods : « putter avec un point d’ancrage ne relève pas du putting. Réussir à swinguer librement le club et à contrôler ses nerfs constituent un véritable art ! » (ESPN, 28 novembre 2012).
Le 1er janvier 2016, cette méthode controversée fut dès lors proscrite chez les professionnels.
Des variantes subsistent associées aux formes et épaisseurs de grip diverses, comme celle équivoque, de l’ancrage avec le bras gauche (et un putter rallongé) de l’américain Webb Simpson, vainqueur du 5è Majeur, le Players Championship, en début d’année au golf de Sawgrass en Floride alors qu’il n’avait plus gagné de tournois depuis plus de quatre ans…
**Le mouvement du putting a également beaucoup évolué en fonction des conditions de jeu.
Des greens lents et fournis nécessitaient de casser les poignets alors que des surfaces plus rapides ont autorisé un balancier plus alangui et le développement de la théorie du pendule en particulier (mouvement de balancier autour d’un point fixe). Quoi qu’il en soit, le putting demeure un geste singulier. En 1968, le légendaire américain Sam Snead (1912-2002) positionna pour la première fois son corps en « amazone » face au trou après que sa technique dite du « croquet » fut interdite par l’USGA. Le prolifique américain Billy Casper (1931-2015) avec 51 victoires sur le Tour américain « réussissait » à toucher sa jambe gauche à l’impact alors que le premier japonais de l’histoire à figurer dans le « Golf World Hall of Fame » en 2004, Isao Aoki, inclinait le bec de son putter vers le ciel.
D’autres, tel le jeune américain de 24 ans vainqueur du Memorial dans l’Ohio en mars 2018, Bryson DeChambeau, surnommé le « scientifique » par ses pairs, ne se trouvent jamais à court d’idées pour expérimenter diverses méthodes…
Chez les femmes, l’américaine de 28 ans, Michelle Wie, après avoir essayé une posture avec un dos littéralement parallèle au sol, s’est tournée depuis février 2017 vers un « grip pince » à l’instar du lauréat du Masters de la même année, l’espagnol Sergio Garcia
Alliant décontraction inoxydable et traversée de balle convaincue, les virtuoses du putting se subliment face aux enjeux. Bénéficiant du « toucher magique » et d’une perception de la ligne de putt limpide, ils chérissent les surfaces rapides, cauchemar du commun des golfeurs !
Quant à la gent féminine, les statistiques s’avèrent sans pitié ; 28,62 putts par tour pour les dix meilleurs hommes du circuit américain contre 29,57 pour le top 10 féminin. Elles sont invariablement moins performantes que leur alter ego aussi bien chez les professionnels que chez les amateurs ; elles rentrent les putts de 1,20 mètres à 3 mètres dans 37% des cas contre 41% pour la gent masculine (Golf Digest, 11 aout 2010). Ces résultats surprenants s’expliquent par une concurrence moins féroce. En 2006, au pinacle de son incroyable carrière la numéro un mondiale et suédoise, Annika Sörenstam, partit de son propre aveu, voir Tiger Woods à Orlando afin d’appréhender la différence d’entrainement à fournir (Golf Digest, 11 août 2010).
Les gains étant incomparables, les femmes ne disposent pas de moyens équivalents pour bénéficier de la même qualité d’infrastructure et de coaching. De même, les parcours proposés se révèlent de moins bonne facture avec des greens hétérogènes, néfastes pour réaliser des statistiques analogues.
**Le doute jalonne une carrière étirée sur plusieurs décennies.
Même les plus talentueux sollicitent à un moment donné les gourous de la discipline. Dave Pelz, l’ancien scientifique de la NASA, est l’un des plus réputés avec parmi ses célèbres disciples, le gaucher américain Phil Mickelson. Pelz affirme notamment que « statistiquement le golfeur possède plus de chance de rentrer un chip en laissant le drapeau dans le trou que de le retirer, surtout sur un chip en descente lorsque la balle prend de la vitesse » (Golf.com, 22 février 2007).
Le « Doc », Bob Rotella défend pour sa part, des scores optimisés par une prise de décision lumineuse qui légitime de regarder l’objectif avant de revenir sur sa balle pour la frapper instinctivement : « look and react » ou « regarder et réagir », telle est sa devise. L’ancien vainqueur américain de majeurs, Dave Stockton contribua également à la séquence victorieuse de l’irlandais du nord, Rory McIlroy, lorsque celui-ci remporta l’US Open en 2011 et le PGA Championship en 2012 avec huit coups d’avance.
Après une « traversée du désert » de 18 mois sans succès, McIlroy suivit d’autres conseils… ceux de l’un des meilleurs putters contemporains (de 1992 à 2002 sur le PGA Tour), l’américain Brad Faxon, qui lui suggéra de ne plus se fixer sur la technique mais, au contraire de se fier à ses sensations. La semaine suivante, soit en mars dernier, il remporta le tournoi de Bay Hill en Floride avec notamment, les meilleurs résultats au putting de tout le champ de joueurs…
Souvent interrogé sur les raisons de son succès au putting, « Fax » n’hésite pas à s’insurger contre une idée reçue : « il est insultant de penser que les bons putters n’ont pas travaillé; tout est question d’apprentissage » (Global Golf Post, 30 Avril 2018). Seul le travail permet de se libérer de la mécanique pour se focaliser uniquement sur les sensations. Il faut embrasser le putting afin d’entrer dans un cercle vertueux. Cette « passion » développée pour le putting associé à un travail acharné et à une confiance optimisée prendra alors le pas sur la peur de rater…
Quelque peu excessive et facétieuse, la « sirène » australienne, Jane Stephenson (66 ans, 16 victoires dont trois majeurs) déclara sans emphase en 2010:« je n’ai pas honte d’avouer que je dors avec mon putter… je n’ai pas d’enfants ; le golf est toute ma vie ! » (Golf.com, 06 aout 2010).
Kristel Mourgue d’Algue
Ancienne joueuse du Circuit européen.
Co-éditrice du Guide Rolex des « 1000 meilleurs golfs du Monde »
Co-propriétaire du Grand Saint Emilionnais Golf
(1) Calamity Jane II (la première version fit offerte à Bobby Jones en 1920 mais c’est avec sa deuxième variante qu’il gagna dix majeurs à partir de 1926)
(2) Il n’y avait pas assez de place pour intégrer le « w » car ce devait être la réponse (the answer) au « Palmer Putter »
(3) Terme inventé par l’écossais Tommy Armour dans les années 50 pour décrire une « maladie » psychologique du golfeur qui s’avère neurologique et qui se traduit par un spasme lors du mouvement
(4) Circuit Professionnel Américain