Pêle-mêle, ou quelques réflexions sur l’architecture des parcours de golf

Le développement du golf et l’émergence de grands champions en France passe par une nécessaire démocratisation, c’est-à-dire un accès à ce jeu pour le plus grand nombre. Dans cette optique, le retour du golf au sein des disciplines olympiques après 112 années d’absence peut-il favoriser ce développement ?

En 1904, dernière année de participation, seules deux nations étaient représentées, les Etats-Unis et le Canada, avec 77 participants en individuel et par équipe.

***Cet été, à Rio, l’esprit olympique et ses valeurs, aussi bien sportives qu’humaines, seront-ils le vecteur véhiculé par le monde des golfeurs professionnels qui participeront « ad honores », ou pas pour certains peu enclins à un déplacement mal rémunéré, à cette grande fête ?
Contrairement aux jeux de 1904, l’ensemble des golfeurs du monde sera présent, d’où une attente légitime de retombées médiatiques (aujourd’hui trop rares) sur ce sport à part entière qu’est en 2016, le golf.

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**Le chemin aura été long depuis la naissance du golf en Ecosse.

En 1552 l’évêque de Saint-Andrews autorise la pratique du golf. Un document officiel atteste que les autorités permettent sur le terrain de jouer au golf, d’élever des lapins et de joueur au football…Vers 1563 la première femme à jouer au golf, Mary, Queen of Scots, favorise la pratique du golf au risque de se faire sermonner par l’église pour avoir joué juste après la mort de son second mari et exercé son loisir plutôt que de s’occuper des affaires. C’est elle qui introduira à la cour de France le jeu de golf réservé, il va de soi, à l’aristocratie et à la haute noblesse.

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**Ainsi, le golf succède au colf, kolf ou chole puis au jeu de mail ou pêle-mêle qui viendrait d’Italie.

Selon les recherches publiées dans l’excellent ouvrage du regretté André-Jean Lafaurie « Le golf et son histoire », on trouverait donc l’origine du golf en Hollande où les terrains devenus par la suite en Angleterre les greens municipaux implantés aux sorties des villages auraient séduit Louis XIV en visite à Utrecht : « il fut conquis par la beauté de ces terrains, et envisagea sérieusement d’en faire construire plusieurs dans son propre royaume ». La France, concluait A.J. Lafaurie aurait peut-être gagné grâce a cette visite quelques centaines d’années sur son histoire golfique, si le roi de France avait fait du golf une de ses préférences…

Après la venue en France des joueurs-concepteurs britanniques, H. Colt, W. Park… à la fin du 19° siècle, qui réalisèrent des parcours principalement en parallèle du développement des stations balnéaires du sud-ouest comme Chiberta ou, à proximité, Pau (où les français et les femmes y étaient interdits !) et par la suite, début 1900, en région parisienne, La Boulie RCF, Saint-Germain…il fallut attendre les années 1975/1985 pour voir se développer, sur notre territoire, des golfs destinés à une catégorie sociale autre que celle jusqu’alors dite « aristocratique ».

Le président de la FFG, Pierre-Etienne Guyot entreprit dans les années 1975 ce que personne ne pouvait imaginer alors, réaliser des golfs publics avec, dans un premier temps la région parisienne comme territoire de développement. Il n’est pas surprenant qu’à l’époque, la plupart des golfeurs privilégiés se soient amusés de cette idée qu’ils pensaient vouée à l’échec. Ce fut pourtant le point de départ d’une nouvelle offre qui couvre aujourd’hui le territoire.

Désormais, même si la progression a fortement ralenti ces dix dernières années, le nombre de terrains homologués, soit 806 dont 343 parcours de 18 trous, permet de confirmer le développement de notre sport, 40% des structures appartenant au secteur public (sans d’ailleurs qu’il en soit fait mention dans le nom du golf qui, pour la plupart, ont une DSP pour la gestion). Il s’agit donc, en 30 ans, d’une véritable explosion du nombre de golfs en France même si, par rapport à nos voisins de grande Bretagne ou d’Irlande, nous sommes très en retard (plus d’1,2 million de joueurs au Royaume Uni mais seulement 410 000 en France, 100 000 en Italie et paradoxe 15 000 au Portugal).

Si la grande majorité des golfs peut-être qualifiée de golf commerciaux, le terme de « golf public » a cependant pratiquement disparu de la terminologie française. Cela est bien dommage car l’on sait que l’un des premiers freins au développement s’attache à la sémantique même du terme « club » qui sous entend un espace privé, réservé et non représentatif pour des CSP hiérarchisées selon leur pouvoir d’achat.
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A titre d’exemple, le Golf de Pleneuf Val-André que j’ai construit en 1992, aujourd’hui géré par la chaîne Blue Green, n’apparait plus en tant que golf public de Pléneuf, alors que ce parcours, considéré comme un des plus beaux golfs d’Europe par Golf Magazine U.S. et dont le trou 11 figure parmi les 500 meilleurs trous du monde. Pourtant, il fut financé entièrement par des fonds publics, Commune, Département, Région et même la dernière subvention du fameux « Plan Vert » lancé par l’Etat.

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**Cette terminologie, sous-jacente d’un certain état d’esprit, n’existe pas dans les pays anglo-saxons.

En Grande-Bretagne, y compris bien sûr aussi en Ecosse, ou en Irlande, les public ou municipal golf course sont légion et beaucoup figurent parmi le top 100 des parcours à l’instar de Saint-Andrews, du Trent Park Public GC de Peter Alliss ou, pour les plus anciens de Carnoustie ou du Royal Troon, le Old de Mackenzie. De même, aux Etats-Unis, parmi les public golf course figurent des parcours de grande renommée tels que Pebble Beach dessiné par Jack Neville, Pacific Dunes de Tom Doak, Pinhurst n°2 de Donald Ross, ou pour les plus récents, le splendide Chambers Bay de Trent Jones. Pour les green-fees le prix est très variable et peut aller de 20£ à quelques 250$… mais chacun peut y trouver son plaisir.

Dans tous ces golfs et bien d’autres encore, la qualité du dessin est indéniable, les obstacles souvent impressionnants, les stratégies de jeu intelligentes qui, rajoutés au vent et à la pluie, vous donnent envie de facto de terminer votre partie de bravoure par un « locally caught fish » ou l’authentique Cullen Skink ou Scotch Broth à l’orge accompagné d’une bonne bière…

Je me dois de citer dans le genre insolite, chez nos amis d’outre manche, le curieux Dell, trou 5 de Lahinch, par 3 aveugle avec son green en travers niché derrière une butte de 15m de haut, l’hymalaya bunker perché du 6 de St Enodoc Church course, ce diable de n°7 de Ballybunion avec son green suspendu sur la dune, suite aux retouches réalisées par l’excentrique Simpson et son épouse Molly Gourlay qui venaient, lors de leurs visites, pique-niquer au bord des fairways avec leur Rolls, le Royal West Norfolk inchangé depuis sa création en 1892 avec ses bunkers infinis (parcours où le club-house n’est pas accessible à marée haute)… ou encore, à Westward Ho le trou 4 du Royal North Devon dû au génie d’Old Tom Morris avec son impressionnant et monumental obstacle barrant le fairway du 4, le célèbre Cap bunker et ses traverses hautes de 15 pieds, entouré de cordes pour éloigner « les moutons, le bétail et le chien du golfeur » !

Sur tous ces parcours anciens de référence, la légende s’inscrit à travers des dessins historiques parsemés à la fois d’éléments d’architecture classique et de créations d’anthologie, basés sur des éléments pouvant paraître parfois incongrus voir anti golfiques par rapport à ce que nous avons l’habitude de rencontrer sur nos parcours hexagonaux. Pourtant, tous respectent les principes édictés dans l’ouvrage “The Spirit of St-Andrews” d’Alister MacKenzie, écrit en 1932 à l’aube du golf moderne dit golf à la cible, “ the difficulties that make a hole really interesting are usually those in wich a great advantage can be gained in successfully accomplishing heroic carries over hazards of an impressive appearance, or in taking great risks to place a shot as to gain a big advantage for the next….for the remainder of your lives”.

Quelle leçon, nous les architectes, pouvons-nous tirer de ces exemples et dans quelle mesure pouvons-nous nous référer à ces éléments fondamentaux de l’architecture de golf essaimés au fil de ces fairways légendaires ?… Certes, lorsque nous avons un golf en projet, la tentation est grande de reproduire l’esprit de ces monuments d’autant que, lorsque le client est une collectivité, la liberté de créer est entière.
En effet, dans la grande majorité des cas, aucun interlocuteur n’a la connaissance ou la pratique du jeu de golf. Nous sommes donc souvent confrontés à cette interrogation du comment, du pourquoi et de quel niveau de parcours appliquer au routing.

Ce sont les budgets qui souvent tranchent le débat. Un montant de 5 millions € est considéré en France comme un bon budget pour un 18 trous. Cela représente la moitié du budget d’un golf « signature » de Nicklaus, un des meilleurs designers aujourd’hui. Il faut donc adapter notre création au coût déterminé par le maître d’ouvrage en glissant quelques clins d’œil appris des grands maîtres.
Lorsque le client est un privé, la négociation est plus simple car il a généralement des objectifs bien définis par rapport à sa volonté marketing. Cela à été le cas du parcours manucuré de l’Atlas Golf Marrakech que j’ai réalisé au Maroc, véritable jardin golf au budget en adéquation avec sa qualité.

Un architecte de golf doit faire preuve de beaucoup de ténacité et d’expérience, car ce métier demande un long apprentissage, parcourir les golfs du monde, avoir une bonne connaissance du jeu et une maîtrise des techniques de construction et de la mise en scène du paysage. Grâce à cette expérience et à la collaboration d’une bonne entreprise spécialisée on réalisera des parcours dignes de ce nom sur lequel les joueurs de tous niveaux prendront plaisir à jouer (par difficile, bogey facile comme disait Trent Jones).
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Ainsi j’ai livré récemment le 27 trous public du Golf International de Longwy avec son parcours de championnat de 18 trous dessiné sur une ancienne friche industrielle, qui, de par sa qualité, figure désormais comme un des meilleurs parcours de l’Est de la France et du Luxembourg proche. La variété des trous lovés au sein d’une forêt de hêtre, la qualité des modelages et de la stratégie de jeu associés aux principes fondamentaux des règles du golf en font un golf challenging capable d’intéresser à la fois les joueurs bogey et le joueur scratch.
Partant des » tiger tee» le parcours offre au bon joueur la possibilité de travailler la balle dans toutes les trajectoires, jouer tous les clubs et tous les coups et maîtriser les balles hautes comme les balles au ras du sol vers des fairways modelés aux greens ondulés.

Dans le domaine du remodelage ou de la modification de golfs existants, le travail de l’architecte, s’il s’avère passionnant devient par contre encore plus complexe qu’en création. Là encore l’esprit que le concepteur a voulu imprégner dès le départ au parcours (s’il existe) doit être conservé, voir souligné. L’architecte doit alors faire preuve de modestie, moduler son travail créatif et se mettre en harmonie de style pour les modifications envisagées sur les tees, les bunkers ou les greens, ou les rectifications de trajectoires de jeu. Le meilleur compliment, une fois le travail achevé, sera que le golf semble ne pas avoir été touché. C’est ce que j’ai pu constater dans mes travaux de remodelage des golfs de La Boulie, d’Ozoir-la-Ferrière, de Ste-Victoire ou de la Bawette en Belgique où les dirigeants m’ont fait entièrement confiance et je les en remercie.
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Mais ce sont des exceptions. Pour obtenir un bon résultat, il faudra convaincre, démontrer et échanger, passer au-dessus des avis des 500 membres du club, tous Architecte, réviser les marques passées des présidents successifs (que j’appelle le phénomène de l’arbre du président) et entreprendre un travail pédagogique essentiel car nos interlocuteurs n’ont pas tous une culture golfique suffisante.

Les travaux entrepris de mauvaise manière, sans architecte, souvent par mesure d’économie, aboutissent souvent à des non-sens golfiques qui sont au détriment de la cohérence du parcours : tees mal orientés ou aux mauvaises distances, pentes à l’envers, bunkers bouchés sans raison ou mal placés, remontées de bunkers en sable engazonnées pour réduire l’entretien (bunker désormais invisible), greens insipides, habillage des berges de lac d’enrochements mal disposés etc… sans compter les plantations incongrues dans les formes aussi bien que dans les variétés. Ces altérations successives sont souvent au détriment de l’esprit d’origine et de la qualité architecturale du golf.

En parcourant en pèlerinage respectueux les golfs légendaires évoqués ci-avant dans mon propos, le golfeur que vous êtes, essayera, tout comme moi de comprendre l’intelligence, les fondements et la philosophie de l’architecture des parcours qui ne doivent jamais rien au hasard, et qui font la difficulté de ce jeu et l’identité de cette pratique si complexe.

Alain Prat, architecte de golf
pratpgr@aol.com